Analyse.
“Je ne voulais pas d’enfants et je me suis laissé piéger”
Partout dans le monde, des millions de parents lèvent un tabou et disent regretter d’avoir eu des enfants. Les spécialistes interrogés par le magazine américain The Atlantic y voient deux raisons principales : le surmenage et la pression sociale.
Carrie aurait préféré ne jamais avoir eu d’enfants. Pendant quelques années, elle s’est sentie heureuse dans son rôle de mère, mais désormais, elle s’enferme régulièrement dans sa cuisine pour tout remettre en question : qui suis-je ? Qu’est-ce que je fais là ? Elle ne peut pas travailler, car elle doit accompagner ses enfants de 10 et 12 ans, tous deux handicapés, à l’école et à leurs rendez-vous médicaux. Carrie, qui est britannique, rêve souvent de rendre visite à l’un de ses amis installé à Hawaï et de ne plus jamais revenir. Ses sentiments lui semblent si tabous qu’elle ne souhaite pas divulguer son nom complet. Pourtant, les parents qui regrettent d’avoir des enfants sont plus nombreux qu’on pourrait le croire.
En 2013, Gallup a mené un sondage auprès de parents américains âgés de plus de 45 ans, et leur a demandé combien d’enfants ils souhaiteraient avoir s’ils pouvaient “repartir à zéro” : environ 7 % ont répondu “aucun”. En 2016, un institut de sondage allemand a demandé à des parents s’ils approuvaient l’assertion : “Si j’avais de nouveau le choix, je n’aurais pas d’enfants” : 8 % d’entre eux se sont dits “totalement d’accord” (11 % étaient “plutôt d’accord”). Un sondage publié en juin a par ailleurs révélé que 8 % des parents britanniques regrettent d’avoir des enfants. D’après deux études menées récemment par Konrad Piotrowski, qui enseigne la psychologie à l’École des sciences sociales et humaines de l’université de Varsovie, entre 11 % et 14 % des Polonais se trouvent dans la même situation, sans différence notable entre les hommes et les femmes. Pris ensemble, ces résultats semblent indiquer que plusieurs millions de parents regrettent d’avoir des enfants.
Les conséquences : sévérité et épuisement
Les doutes ressentis par les parents n’auront pas forcément de répercussions négatives sur leurs enfants. Mais lorsque la relation parent-enfant est envahie par les regrets, c’est toute la famille qui peut en souffrir. Bien que la recherche sur le regret parental en soit encore à ses débuts, l’étude des mères adolescentes semble indiquer l’existence d’une corrélation entre les remords des parents et la sévérité, voire le rejet, dont ils font preuve envers leurs enfants, affirme Konrad Piotrowski. Kara Hoppe est thérapeute familiale et a cosigné Baby Bomb : A Relationship Survival Guide for New Parents [“Guide de survie du couple à l’usage des jeunes parents”, inédit en français]. D’après ses observations, les enfants peuvent se sentir délaissés “s’ils ont l’impression que leurs parents n’ont jamais envie d’être avec eux”. Au cours de leur développement, les enfants sont tellement centrés sur eux-mêmes qu’ils risquent d’internaliser le manque d’intérêt de leurs parents et de croire qu’ils en sont la cause.
Ni Konrad Piotrowski ni les instituts de sondages n’ont interrogé directement les parents sur les raisons de leurs regrets. Toutefois, les experts identifient deux grandes causes à ce phénomène. L’une d’entre elles est le surmenage. Les parents peuvent être dévoués à leurs enfants et néanmoins se sentir épuisés et avoir l’impression de manquer de soutien.